vendredi 27 juillet 2018

Soir d'automne


Elle est assise par terre.
Elle s'est laissée glisser au sol, épuisée par le combat qui vient de s'achever.
Elle le regarde. Il la regarde.
Il lui fait face. Un sourire éclaire son visage.
Le chat se faufile entre eux, se colle à sa barbe et ronronne. Il ne le caresse pas.
Le chat s'écarte et bondit souplement sur le petit guéridon. Un cadre tombe à terre dans un bruit de verre.

Une jeune mariée sourit tendrement à son époux tout neuf. Il la regarde, elle le regarde. L'avenir figé sur papier glacé.
On devine les bruits de la fête, la farandole autour des époux, les vœux de bonheur. Ils n'entendent rien, cet instant leur appartient.

La patte du chat laisse une empreinte vermillon sur la robe immaculée.
Elle ne dit rien. Il se tait.
Le chat grimpe sur la cheminée, balaye de la queue quelques bibelots.
Un vase du bout du monde, un coquillage doré, une boîte à musique....
Le vase est fendu. Le premier coup.
Elle n'a rien dit, il s'est tu.
Sa tête s'est légèrement inclinée.
Il semble regarder à présent le mur criblé de photos de voyage. Fuir l'absence...
Elle a prêté son corps, elle a donné ses formes, empâté sa taille fine. Mais elle est restée vide. Creuse de toute vie.
Une branche morte.
Le chat grimpe sur ses genoux, carde sa jupe de lin sur laquelle fleurissent des étoiles écarlates.
Elle ne le caresse pas.
Il miaule.
Une mouche bourdonne.

C'est le printemps, elle s'affaire en cuisine. Chaud. Froid. Trop salé. Pas assez. Le deuxième coup.
Il se tait. Elle reste silencieuse.

On sonne à la porte. Le chat ne répond pas.
Les pas s'éloignent.
Sa bouche est boudeuse. Il n'aime pas quand elle boude. Il frappe.
Elle ne bouge pas.
Le chat lape le fond de son écuelle. Elle racle le sol, elle est vide.
Il miaule
Il la regarde. Elle le regarde

La neige a paralysé les routes. Elle est en retard, la peur lui noue l'estomac. Il l'attend. Elle essaye de se protéger. La tête heurte le chambranle de la porte.
Silence.
Deux mouches se battent
Le chat les attrape au vol et joue quelques instants avec.
Il se lasse
Il est immobile. Les poils de sa barbe sont collés, en bataille.
Sa jupe est souillée, laisse apparaître ses cuisses blafardes.
Il n'aime pas ça.
Il l'observe. Elle baisse les yeux

Premier été, la plage. Elle encore mince. Sa peau caramel luit sous le soleil. Quelques grains de sable s'y accrochent.
Elle est belle. Insupportablement désirable. Lèvre fendue.

Le chat miaule
Les mouches vrombissement
Il pleut
Le chat traine dans ses jambes
Il se frotte contre elle, quémande un peu de nourriture.

Ce matin
Elle maquille son œil noirci, frotte son ventre douloureux.
Elle s’observe dans le miroir.
Ce matin
Elle ne se souvient pas.
Quelques images, une chaise fracassée et la douleur, familière, haïe, redoutée, attendue...
Ce matin
Le chien des voisins a jappé longuement

Les yeux écarquillés, elle a porté les mains à son côté
Les mains tremblantes, il a lâché le couteau
Dans un dernier élan elle se jette sur lui
La tête, la cheminée, le sang, il s’affaisse.
Elle le regarde. Il la regarde.
Il lui fait face. Un sourire figé éclaire son visage.
Elle s’est assise par terre

On sonne à la porte
Les mouches grouillent sur le chat affamé
Des coups, des bruits de pas
Des voix
Ça fait huit jours qu’on ne les a pas vus, c’est pas normal, j’vous dit. Et puis l’odeur quand même….
Bruit de porte fracassée
Silence…


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